Universités et formation continue : l’effet France 2030 : mutations profondes ou feu de paille ?

Depuis plus de cinquante ans, les universités françaises s’engagent dans la formation continue. Aux côtés des missions traditionnelles de recherche et de formation initiale, cette « troisième mission » s’est installée durablement dans le paysage de l’enseignement supérieur, notamment depuis la loi Delors de 1971, qui a posé les bases de la formation continue en France (pour un rappel historique https://books.openedition.org/pur/151785). Mais aujourd’hui, un tournant s’opère : les dispositifs récents liés à la stratégie France 2030 redéfinissent les priorités, les organisations et les ambitions.

les 2 missions historiques

Contrairement à d’autres organismes de formation, les universités ont longtemps évolué entre deux logiques : d’une part, une vocation humaniste de diffusion du savoir ; d’autre part, une insertion progressive dans un marché de plus en plus concurrentiel. Cette double logique a trouvé un nouveau terrain d’expression avec les réformes successives qui poussent les établissements à générer davantage de ressources propres, renforçant la dimension commerciale de leur action.

France 2030 : un catalyseur de changement

Dans la droite ligne de cette tendance commerciale, depuis le début des années 2020, les ambitions de développement de la formation continue universitaire se sont intensifiées, soutenues par des financements publics stratégiques, en particulier deux dispositifs phares qui ont émergé dans le cadre de France 2030 :

  • ASDESR (Appui à la Structuration de la Démarche Stratégique des Établissements d’Enseignement Supérieur et de Recherche) : un soutien dégressif sur 5 à 10 ans pour renforcer l’offre de formation continue. 26 établissements ont été retenus centrés sur l’axe Formation continue.
  • Compétences et Métiers d’Avenir (CMA) : avec un objectif de 1 million de nouveaux diplômés d’ici 2030 sur 10 secteurs stratégiques identifiés. 172 projets soutenus depuis 2022, quasi tous avec des établissements universitaires chefs de file ou partenaires pour un total d’environ 1 milliards d’euros de subvention et des enveloppes allant de 1 à 56M€.

Au cours de 3 dernières années j’ai pu travailler ou échanger avec plusieurs projets ASDESR ou CMA et mesurer l’impact de ces programmes : Easyskills de l’INSA Lyon, Goal@SU se SU, Digital FCU de FUN, Famouis de l’UCA, FORCOVD de l’université Gustave Eiffel, SyRengie de l’Université de Rennes, CyberSkills@UGA, C-décidé de l’université de Dunkerque, Moment-um de l’Université de Montpellier, ASDESR Lille de l’Université de Lille.
Lors de son colloque de 2022, le réseau FCU/Univpro était revenu sur 4 de ces projets : https://youtu.be/auYjWT881bg?si=B_XdHl1vciG-68uL

Des impacts organisationnels profonds

Les établissements bénéficiaires voient leur fonctionnement transformé. Objectifs de croissance élevés, développement de nouvelles compétences (marketing, ingénierie pédagogique, commercialisation), doublement des effectifs dans certains services : l’organisation interne est repensée de fond en comble.

Les composantes universitaires (UFR) doivent collaborer plus étroitement avec les services centraux, entraînant une redéfinition des rôles et des processus. Les métiers évoluent : community managers, chargés d’affaires, ingénieurs pédagogiques spécialisés dans la formation continue font leur apparition dans ces équipes réorganisées.

Une offre en pleine reconfiguration

Pour répondre aux exigences des appels à projets et aux besoins des secteurs stratégiques, les universités revoient profondément leur catalogue :

  • Modularisation des formations (blocs de compétences, DU/DIU courts),
  • Nouveaux formats hybrides ou 100 % digitaux,
  • Enregistrement renforcé au RNCP/RS,
  • Marketing digital ciblé.

L’objectif : mieux coller aux attentes des apprenants adultes et aux réalités économiques des territoires.

Des effets différenciés et une segmentation accrue

Ce développement n’est pas homogène. Une fracture se dessine entre les établissements fortement dotés (jusqu’à 100 M€ pour certains, comme l’Université Grenoble Alpes) et ceux restés en marge. Cette segmentation interroge sur la capacité du système à garantir une équité d’accès à la formation continue universitaire sur l’ensemble du territoire.

Un changement durable… ou conjoncturel ?

La question est posée : que restera-t-il de cette dynamique lorsque les financements publics arriveront à terme. L’année 2026 sera d’ailleurs décisives pour les financements ASDESR avec l’obligation d’un premier bilan des réalisations qui conditionne la poursuite des financements. Ce sera également le terme d’une partie des projets CMA. Selon la réussite dans la construction d’une offre de formation renouvelée et sa commercialisation, les établissements pourront pérenniser les équipes souvent – recrutées en CDD – et leurs compétences ou à l’inverse mettre un terme à ces nouvelles activités.

Mais, au-delà de la dimension économique, pour que cette mutation dépasse le simple effet d’aubaine, on peut supposer que pour réussir les universités devront surtout ancrer durablement ces transformations : une organisation professionnelle, une offre lisible et pertinente, une relation renforcée avec les entreprises et leurs salarié-e-s. Ces changements ne pourront être pérennisés que s’ils s’inscrivent dans une logique de réponse aux grandes transitions sociétales du moment. Une belle manière de renouer avec la tradition humaniste d’une université présente dans la société.